Exposition
Un cabinet de lectures :
la bibliothèque (incomplète)
de Philippe Thomas
28.01 – 04.04 2025
Hall Faulkner, 1er étage de la Bibliothèque Universitaire Centrale
En ce moment, des éditions de Philippe Thomas sont présentées au Cabinet du livre d’artiste, dans l’exposition
« Travail et Économie dans les publications d’artistes » (commissariat : Leszek Brogowski) du 25 février au 11 avril 2025 : https://nouvelles.univ-rennes2.fr/event/exposition-travail-economie-dans-publications-dartistes
Au cœur des décennies 1980–1990, Philippe Thomas choisit d’investir le champ de l’art pour expérimenter une fiction du faire dont l’enjeu est double : réviser le statut et l’identité de l’auteur·e en interrogeant la dimension discursive de l’œuvre d’art. Nourrie de la lecture de textes émanant du champ des sciences humaines et sociales, comme de références artistiques, littéraires ou cinématographiques, la démarche de Philippe Thomas s’appuie sur une pratique de la citation qui envahit tant l’œuvre que ses marges. Dans le Hall Faulkner de la BU Centrale, la galerie art & essai reconstitue la bibliothèque de Philippe Thomas à partir des collections de la bibliothèque universitaire. Organisée autour d’une œuvre emblématique de Philippe Thomas, cette bibliothèque incomplète compose un cabinet de lectures à réactiver pour une histoire de l’art [qui] cherche des personnages.
Le temps d’un semestre universitaire, la galerie art & essai reconstitue la bibliothèque personnelle de Philippe Thomas à partir des collections de la bibliothèque universitaire et en collaboration avec son équipe. Issue d’une recherche menée par Émeline Jaret, la reconstitution de la bibliothèque de l’artiste est le résultat du croisement de deux inventaires : (1) sa bibliothèque matérielle (BM), représentée par la liste des ouvrages qu’il possède à la fin de sa vie – rédigée par Benoît d’Aubert en 1995 ; (2) sa bibliothèque virtuelle (BV), établie par Émeline Jaret à partir d’un relevé systématique des références trouvées dans ses œuvres et écrits, dans ses archives ou celles de ses proches et dans les entretiens ou conférences de l’artiste. Cette bibliothèque ainsi reconstituée vise à rendre visible la genèse intellectuelle d’une œuvre où la citation fonctionne comme un moyen et un support de création. Elle offre un document essentiel pour la compréhension de la méthode de travail de Philippe Thomas et permet d’appréhender son œuvre dans une histoire plus vaste des pratiques de lecture et de la circulation des idées.
Né à Nice le 7 juillet 1951, Philippe Thomas s’installe à Paris au début des années 1970 pour y faire ses classes préparatoires littéraires (Khâgne, Hypokhâgne) au Lycée Henri IV, puis une Licence de Lettres modernes à l’Université Paris-Sorbonne. Il obtient son CAPES en 1973, enseigne plusieurs mois et quitte rapidement son poste d’enseignant pour se consacrer pleinement à ses recherches artistiques. Sa formation littéraire et philosophique imprègne fortement sa pensée tout au long de sa carrière et, de 1977 à 1995, Philippe Thomas choisit de produire une œuvre pluridisciplinaire et référencée qui s’avère être « la manifestation peu contestable d’un art du langage ». Si sa trajectoire dessine celle d’un « artiste de l’entre-deux-genres », c’est parce qu’il tend à explorer l’ensemble des médiums et techniques à sa disposition, dont la variété n’a d’égale que la diversité des noms qui circulent dans son œuvre.
Ces noms sont d’abord issus des emprunts multiples qui peuplent chacun des travaux de Philippe Thomas et traduisent la pratique citationnelle fondatrice de sa démarche artistique. L’ensemble de l’œuvre porte, en effet, l’empreinte des lectures (scientifiques, littéraires, artistiques) et des fréquentations (d’artistes, de théoriciens, de critiques ; d’œuvres, d’expositions, de romans) qui marquent Philippe Thomas au fil de sa carrière. Une fois réappropriés et transformés, ces emprunts deviennent le matériau premier d’une œuvre autoréflexive autant qu’autoréférentielle, qui procède de réécritures et de commentaires constants. Ce processus créatif, qui se construit en creux de celui d’autres que lui, ne doit pourtant pas manquer le fait que « la citation permet moins de prendre possession d’autrui que de soi ». Les noms qui peuplent ses travaux sont aussi ceux de ses « hétéronymes », ces collectionneurs qui prêtent leur signature pour remplacer celle de Philippe Thomas, à partir de 1985, et jouent le rôle de personnages dans une fiction mettant en scène sa disparition comme auteur de ses travaux.
La bibliothèque (incomplète) de Philippe Thomas rend ainsi visible cette liste de noms propres, qui fait écho à une œuvre emblématique de l’artiste et dont la légende affirme : « Histoire de l’art cherche personnages ». Empruntée au CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux, cette Publicité publicité (1988), présentée sous le nom de l’agence les ready-made appartiennent à tout le monde®, accueille les visiteur·euses au seuil du cabinet de lectures. Disponibles à l’emprunt, les livres qui occupent les rayonnages sont appelés à se déplacer au rythme de leurs usages et contribuent à transformer, temporairement, chaque emprunteur·euse en acteur·rices du dispositif proposé. Leur classement reproduit celui de la bibliothèque matérielle de Philippe Thomas et, marquant un écart avec la classification Dewey de la bibliothèque universitaire, entraîne ses publics dans un jeu de pistes à travers les possibilités de lecture d’une œuvre et de ses sources.
Émeline Jaret
[1] Daniel Soutif, « Postface », dans Thomas Philippe et al., Sur un lieu commun et autres textes, Genève/Rennes, Mamco/Presses universitaires de Rennes, 1999, p. 355.
[2] Élisabeth Lebovici, « Philippe Thomas », Artpress, n°261, octobre 2000, p. 12.
[3] Antoine Compagnon, La Seconde main ou le travail de la citation, Paris, Seuil, 1979, p. 351.
[4] Voir José Blanco (sld), Pessoa en personne, Paris, Éd. de la Différence, 1986.
Artiste français né en 1951, Philippe Thomas décède en 1995 des suites du SIDA. En 1977, il choisit le monde de l’art comme terrain de jeu pour produire une œuvre qui organise la disparition de son nom en tant qu’auteur. Après avoir participé à la fondation du collectif Information Fiction Publicité avec Jean-François Brun et Dominique Pasqualini (1983-1985), il imagine le projet du Fictionnalisme, qui jette les bases de son protocole de travail en collaboration. Désormais, chacun de ses projets sera signé par un·e collectionneur·euse qui, par cette transaction financière, accepte d’en assumer la responsabilité auctoriale. Dès 1987, Philippe Thomas met en œuvre ce principe via son agence les ready-made appartiennent à tout le monde®, qui comptera une soixantaine de signataires, avant sa fermeture en 1993-1994.
Ce projet fait suite à la parution de l’ouvrage d’Émeline Jaret, Philippe Thomas – Histoire(s) d’un auteur caché, aux Presses universitaires de Rennes (septembre 2024) et s’accompagne de l’édition de la liste de la bibliothèque à paraître au printemps 2025 (collaboration Émeline Jaret & Yann Sérandour, design graphique Kevin Donnot + Élise Gay). Ce projet a bénéficié du dispositif de soutien « actions spécifiques » de la commission de la recherche de l’Université Rennes 2.
La galerie art & essai remercie chaleureusement l’équipe de la Bibliothèque universitaire pour sa collaboration, le CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux et Claire Burrus/Estate Philippe Thomas.